Le temps des Romains ou l’esprit des faits. Le temps de l’histoire chez Montesquieu // [The time of the Romans or the spirit of facts. The time of history in Montesquieu]

Abstract
Le temps de Montesquieu que nous considérons ici est celui qui structure et définit les Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence . Et pourtant les Romains ne sont ni véritablement un livre d’histoire, ni même exactement un récit; est-ce à dire que nous sont interdites les deux approches traditionnelles des œuvres littéraires, temps narré, temps de la narration …? Nous voilà en tout cas contrainte de concentrer notre attention sur la manière dont Montesquieu pense le temps, dans la perspective d’une réflexion qui prend l’histoire pour matière, et non pour cadre, en une démarche qui est déjà celle de L’Esprit des lois- non brouillon ou coup d’essai sur la voie du Grand œuvre, mais découverte de l’utilité de la démarche historique comme mode de pensée. En effet il ne s’agit pas pour Montesquieu de raconter après tant d’autres les hauts faits qui scandent l’ascension de Rome et de marquer les étapes navrantes d’un déclin inéluctable ou de dénoncer les effets destructeurs du temps sur la vertu romaine (lieu commun s’il en fut) - mais bien plutôt d’analyser le destin de Rome, de cerner les raisons pour lesquelles une ville si médiocre a duré si longtemps, et une puissance si affaiblie a résisté autant de siècles: Rome, la Roma æterna, se construit et se détruit contre le temps et les lois communes. C’est pourquoi celui qui en étudie l’évolution n’envisage le passé que pour mieux voir le présent: Rome n’est qu’une extraordinaire matière première, un sujet d’expérimentation que Montesquieu traite moins en historien proprement dit qu’en physicien, observateur attentif des phénomènes dont il faut tirer des lois générales. De ce fait le temps peut n’apparaître que comme un paramètre parmi d’autres, non comme le tissu même de l’œuvre. Mais c’est précisément dans le jeu entre le passé et le présent que Montesquieu ouvre de nouvelles perspectives, en d’étranges chevauchements.